La Cour internationale de justice ouvre la voie aux "réparations" climatiques

Les Etats qui violent leurs obligations climatiques commettent un acte "illicite” et pourraient se voir réclamer des réparations par les pays les plus affectés, conclut mercredi la Cour internationale de justice dans un avis consultatif inédit, destiné à influencer la jurisprudence mondiale.
La plus haute juridiction de l’ONU, basée à La Haye, établit à l'unanimité dans cet avis, initialement demandé par des étudiants sur l’archipel de Vanuatu, une interprétation juridique du droit international, dont des législateurs, avocats et juges du monde entier peuvent désormais se saisir pour changer les lois ou attaquer en justice les Etats pour leur inaction climatique.
L'avis est "un jalon historique pour l'action climatique", s'est félicité le ministre du climat de Vanuatu, Ralph Regenvanu, à l'issue de l'audience sur les marches du Palais de la Paix, se disant convaincu qu'il inspirerait "de nouvelles actions judiciaires" dans le monde.

La dégradation du climat, causée par les émissions de gaz à effet de serre, est une "menace urgente et existentielle”, a déclaré le juge Yuji Iwasawa, président de la Cour, lors d'une lecture de deux heures de l'avis.
La Cour a rejeté l’idée défendue par les grands pays pollueurs selon laquelle les traités climatiques existants – et notamment le processus de négociation des COP annuelles – étaient suffisants.
Les Etats ont "des obligations strictes de protéger le système climatique", arguent les juges. En accord avec les petits pays insulaires, la CIJ confirme que le climat devait être "protégé pour les générations présentes et futures" -- alors que les grands pays pollueurs refusaient absolument de reconnaître légalement les droits d'individus pas encore nés.
La partie la plus conséquente de l’avis, et qui suscitera le plus de résistance chez les pays riches, découle de ces obligations: les compensations dues aux pays ravagés par le climat.
"Les conséquences juridiques résultant de la commission d'un fait internationalement illicite peuvent inclure [...] la réparation intégrale du préjudice subi par les États lésés sous forme de restitution, de compensation et de satisfaction", a déclaré Yuji Iwasawa.
Mais la Cour place la barre haut: un lien de causalité direct et certain doit être établi "entre le fait illicite et le préjudice", certes difficile à établir devant une juridiction mais "pas impossible" pour autant, concluent les 15 juges de la CIJ.
Il s'agit du cinquième avis unanime de la Cour en 80 ans, selon l'ONU.
"Historique"
Il faudra du temps pour que les juristes digèrent pleinement l'avis de 140 pages, et encore plus pour voir si des tribunaux nationaux s'en emparent.
Mais d'ores et déjà, de nombreuses voix, expertes et militantes, soulignent le caractère historique du texte.
C'"est une victoire historique pour la justice climatique", a réagi auprès de l'AFP l'ancien rapporteur spécial de l'ONU pour les droits humains et l'environnement, David Boyd. L'interprétation par la Cour des obligations des Etats "sera un catalyseur pour accélérer l'action climatique".
"Pour la première fois, la plus haute cour du monde a établi que les Etats avaient une obligation légale de prévenir tout préjudice climatique, mais aussi de le réparer pleinement", a commenté l'une des juristes les plus expertes du sujet à la London School of Economics, Joana Setzer. L'avis, selon elle, "renforce la base juridique de la justice climatique".
Les climatologues les plus déçus par l'action politique mondiale sont du même avis.
"C'est une décision majeure", dit à l'AFP Johan Rockström, directeur d'un des instituts européens les plus reconnus sur le climat, le Potsdam Institute for Climate Impact Research. Chaque pays peut "être tenu pour responsable" devant les tribunaux, même s'il n'est pas signataire des traités de l'ONU, ajoute-t-il.
Pour le climatologue américain Michael Mann, l'avis tombe à pic alors que Donald Trump continue à démanteler l'édifice construit par ses prédécesseurs démocrates pour réduire les gaz à effet de serre.
L'avis de la Cour "fait des Etats-Unis, et de quelques pétro-Etats comme l'Arabie Saoudite et la Russie, un pays hors-la-loi qui menace nos peuples et notre planète au nom des profits des énergies fossiles", dit-il à l'AFP
.L'avis sera certainement "testé" en justice aux Etats-Unis, prédit pour l'AFP le professeur à l'école de droit du Vermont, Pat Parenteau. "Cela ne réussira pas avec la Cour suprême actuelle, mais ce n'est pas permanent".
- Reculs politiques, avancées juridiques -

Nombre d’ONG et militants attendaient avec impatience cet avis, frustrés par l'inaction ou la lenteur des grands pays pollueurs à réduire leur combustion de pétrole, de charbon et de gaz.
La Cour avait dû organiser les plus grandes audiences de son histoire, avec plus de 100 nations et groupes prenant la parole, en décembre au Palais de la Paix.

La bataille du climat investit de plus en plus les tribunaux, qu’ils soient nationaux ou internationaux, pour forcer une action climatique d’une ampleur que les négociations au niveau politique n’arrivent pas à déclencher - a fortiori à une période où Europe et Etats-Unis ralentissent ou reculent sur leurs engagements.
Les COP annuelles ont certes permis d'infléchir les prévisions de réchauffement, mais encore très insuffisamment pour tenir l'objectif limite de 2°C, par rapport à l'ère préindustrielle, fixé par l'accord de Paris de 2015. Le monde en est déjà à au moins 1,3°C de réchauffement.
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