En Mauritanie, une ville médiévale et ses manuscrits centenaires à l'épreuve du désert

Du toit de sa maison, Sidi Mohamed Lemine Sidiya contemple la cité médiévale de Oualata, en plein coeur du désert mauritanien: "C'est une ville magnifique, extraordinaire". Ce trésor architectural lutte pourtant pour ne pas disparaître.
Surnommée "le rivage de l'éternité", Oualata fait partie des quatre ksour de Mauritanie avec ses contemporaines Chingetti, Tichit et Ouadane. Grâce à leurs positions incontournables sur les chemins caravaniers du Sahara, ces villes fondées entre le XIe et le XIIe siècles ont prospéré jusqu'à devenir d'importants centres d'érudition de la culture islamique.
Dans les rues dépeuplées de la ville, sous une chaleur harassante, des amas de pierre et les murs éventrés témoignent des ravages de la dernière saison des pluies, particulièrement violente.
"Beaucoup de maisons sont tombées à cause des pluies", déplore une habitante, Khady, devant la maison écroulée qu'elle a héritée de ses grands-parents.
"Les maisons sont devenues des ruines parce que leurs propriétaires les ont quittées", raconte M. Sidiya, représentant de la Fondation nationale pour la sauvegarde des villes anciennes à Oualata.
Exode
Depuis des décennies, Oualata subit l'exode de ses habitants à la recherche d'opportunités économiques, qui rend compliqué l'entretien des bâtisses historiques. Sa population a largement baissé: on y dénombre aujourd'hui quelque 2.000 habitants en comptant les alentours.

Ces constructions traditionnelles recouvertes de banco, un enduit de terre rouge caractéristique de la région, sont conçues pour s'adapter à cet environnement extrême. Mais elles doivent être entretenues après les pluies.
Sur les 293 parcelles de la vieille ville, seules une centaine sont encore occupées.
"Notre plus grand problème, c'est la désertification. Oualata est ensablée partout", explique M. Sidiya.
Le phénomène de désertification touche 80% du territoire national, causé notamment par "les changements climatiques, les pratiques d'exploitation inadaptée", selon le ministère mauritanien de l'Environnement.
"Le désert a connu une période verdoyante avant la grande désertification des années 70" qui a vu "l'installation de dunes de sable", note Boubacar Diop, directeur de la Protection de la Nature en Mauritanie.
Dans les années 80, l'intérieur de la mosquée de Oualata était tellement ensablé que "les gens priaient sur la mosquée", rappelle Béchir Barick, géographe à l'université de Nouakchott. Elle a depuis été désensablée.

Battue par le vent et les sables, Oualata a conservé de sa gloire passée les superbes portes d'acacia peintes par les femmes selon des motifs traditionnels, et quelques milliers de manuscrits centenaires transmis de générations en générations dans 16 bibliothèques familiales.
Assis en tailleur sur un tapis, Mohamed Ben Baty tourne les pages d'un manuscrit vieux de trois siècles. "Nous avons hérité cette bibliothèque de nos ancêtres, fondateurs de la ville", souligne-t-il.
Comme ses aïeux avant lui, cet imam est le dépositaire d'un savoir presque millénaire, descendant d'une longue lignée d'érudits du Coran.
Dehors, l'air matinal du Sahara est déjà brûlant mais le bâtiment en banco conserve une certaine fraîcheur.
223 manuscrits
Le fonds familial compte 223 manuscrits, dont le plus vieux date du XIVème siècle, selon M. Ben Baty.

Dans une minuscule pièce encombrée, il entrouvre un placard et dévoile son trésor: des écrits centenaires dont la préservation tient parfois du miracle.
"Ces livres, il fut un temps, étaient très mal entretenus et exposés à la destruction", raconte M. Ben Baty, montrant des tâches d'eau sur des feuillets glissés dans des pochettes en plastique.
Autrefois, les ouvrages étaient rangés dans des malles, "mais quand il pleut, l'eau s'infiltre et peut gâter les livres".
Une partie du toit de la petite pièce s'est effondré il y a huit ans pendant la saison des pluies.

Dans les années 90, la coopération espagnole a permis de financer une bibliothèque contenant plus de 2.000 ouvrages qui ont été restaurés et numérisés. Faute de financements, la préservation des écrits dépend de la bonne volonté de quelques passionnés comme M. Ben Baty, qui ne vit pas à Oualata toute l'année.
"La bibliothèque a besoin d'un expert qualifié pour assurer sa gestion et garantir sa pérennité car elle renferme une richesse documentaire précieuse pour les chercheurs dans divers domaines: langues, sciences du Coran, histoire, astronomie", résume-t-il.
Les revenus touristiques sont quasi inexistants. Oualata, située à deux heures de piste de la prochaine ville, ne compte aucune auberge et elle se situe en zone "formellement déconseillée" par de nombreux pays en raison de la menace jihadiste.
Face à l'avancée inexorable du désert, des arbres ont été plantés autour de la ville en 1994. Insuffisant, constate M. Sidiya.

Quelques initiatives ont permis de sauver Oualata et ses contemporaines d'une disparition certaine. Un festival des villes anciennes est ainsi organisé chaque année dans l'une des quatre villes, permettant de financer des rénovations et des investissements dans le développement afin de maintenir les populations sur place.
En fin de journée, le soleil disparaît derrière la chaîne de montagnes du Dhaar et dans la fraîcheur retrouvée, des centaines d'enfants envahissent les rues: Oualata reprend vie.
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