Automobile chinoise: "la réaction européenne doit être rapide et puissante" (A. Morlet-Lavidalie)
"A partir du moment où la Chine est implantée sur des marchés, qu’elle a des usines en Europe, ça devient compliqué de lutter contre elle". C’est ce qu’affirme l’économiste Anthony Morlet-Lavidalie, auteur de la note du cabinet Rexecode "Industrie automobile en Chine : anatomie d’une montée en puissance", dans un entretien accordé à AOF. Commentant l’enquête antisubventions lancée en octobre par la Commission européenne sur les importations de véhicules électriques à batterie en provenance de Chine, il estime que les clés de sa réussite seront "la rapidité" et "la puissance" de la réponse.
D’où provient la lenteur de la prise de conscience des Européens?
"Le Covid a brouillé un peu les lignes, avec des Salons mondiaux de l'automobile annulés en 2020 et 2021, de sorte qu'on a oublié que la Chine continuait d'avancer rapidement dans ces secteurs. On s'aperçoit maintenant que les Chinois sont montés très rapidement en gamme".
" La Chine était traditionnellement renommée pour ses prix bas mais aujourd'hui c'est au niveau technologique qu'elle est à la frontière et n'a plus rien a envier aux constructeurs européens, elle n'est plus simplement l'usine du monde, elle un pays à la pointe de la recherche en témoigne les 2,6 % du son PIB qu'elle alloue aux dépenses de R&D".
Et elle s'est lancée à la conquête de l'Europe...
Il faut savoir que c'est une planification politique de très longue date. Il y a un évident manque de données, ce travail de recherche m'a demandé plusieurs mois pour recueillir les données que je livre dans la note, elles sont souvent peu accessibles, voire non publiques : la manière dont la Chine a investi dans les ports européens en dit long, les exportations de voitures chinoises grandissent précisément via les ports européens dans lesquels la Chine détient des parts, d'Athènes à Valence en passant par Hambourg. Les Chinois cherchent aussi à implanter leurs usines dans les pays où ils souhaitent vendre, BYD va probablement ouvrir sa première usine européenne en Hongrie.
Dans la note vous louez la réaction américaine à la menace chinoise…
"Une chose est sûre, les Américains ne sont pas naïfs face aux ambitions chinoises. Avec l'IRA notamment et le Chips Act, les Américains ont lancé un véritable réarmement productif. Le Mexique a beaucoup bénéficié des aides qui ont été lancées, il est même devenu le premier fournisseur des États-Unis devant la Chine, ce qui est une première depuis 2003 suite à l'entrée de la Chine dans l'OMC. A ce stade, la réponse européenne est clairement insuffisante en comparaison ".
La Chine privilégie-t-elle vraiment ses propres constructeurs par rapport aux étrangers sur son sol ?
Il y avait des subventions pour les constructeurs étrangers au départ mais la Chine a réussi à flécher beaucoup plus de subventions vers ses propres constructeurs nationaux grâce à des critères suffisamment subtils. Typiquement, sur les exemptions de taxes pour l'achat d'un véhicule électrique, le gouvernement a ajusté les seuils de prix (300 000 RMB à l'heure actuelle, soit 38 000 euros) de telle sorte que les voitures à bas coût produites par des constructeurs chinois bénéficient en priorité des exonérations. Dès le plan "Made in China 2025" lancé en 2015 il était précisé que le gouvernement souhaitait atteindre une part des constructeurs nationaux sur le marché intérieur très élevée, à hauteur 80%. Le gouvernement chinois n'a, de ce point de vue, jamais caché ses ambitions. Nous n'y avons en revanche pas prêté suffisamment d'attention.
Donc quand Xi Jinping apporte son soutien à l'expansion de Tesla en Chine…
" Il y a une forme d'ironie. La Chine ne met pas spécialement de bâtons dans les roues de Tesla, si je peux filer la métaphore, mais elle subventionne beaucoup plus ses propres constructeurs. C'est en partie pour cela que Tesla recule en Chine en termes de parts de marché.
Parmi les 10 modèles les plus vendus en Chine au mois d'octobre, quatre modèles sont vendus par le géant BYD. Le top 3 est entièrement dominé par BYD avec la Qin Plus, suivi de la Seagull et de la Song plus pour fermer le podium ".
L'Europe peut-elle s'inspirer de l'action lancée dans les années 2010 contre les panneaux solaires chinois, même si cette bataille a été perdue?
" Il faut dire qu'on a réagi très tardivement dans ce dossier, mais aussi qu'on n'a pas pris toute la mesure de la politique chinoise en faveur de l'émergence de champions nationaux. Il aurait surtout fallu se rendre compte à quel point la Chine peut être agressive économiquement".
Il aurait fallu une réponse plus agressive…
"Pour les panneaux solaires, la partie était déjà quasiment écrite au moment où la commission d'enquête a été lancée, même dans le cas de mesures de rétorsion plus importantes. Sur la voiture électrique, on en est à un stade plus précoce : l'objectif de notre étude est justement de servir de base à une réaction française et européenne à la hauteur des enjeux".
Quelle serait la clé du succès pour la réaction européenne?
"Ce sera l'objet du second volet de notre étude, mais il y a deux conditions nécessaires pour qu'elles fonctionnent. Premièrement, il semble nécessaire qu'elle soit plus rapide que celle sur les panneaux solaires. Chaque mois supplémentaire est un mois perdu, qui nous fait reculer en termes de parts de marché. Le deuxième critère sera la puissance de la réponse : les constructeurs chinois notamment contrôlés par l’État continuent d'être aidés massivement par le gouvernement, bien qu'ils soient rentables et installés dans le paysage. On peut dire que SAIC, le plus gros conglomérat d'État dans le secteur, est toujours sous perfusion publique. Mais cela s'applique aussi à des entreprises privées comme BYD qui a profité des mêmes largesses du gouvernement chinois, avec plus d'une douzaine de postes de subventions répertoriés dans son dernier rapport annuel.
Interview réalisée par Matthieu Richard-Molard.
source : AOF
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